Emmanuel et Maximilien Berque

Sur Micromégas III, 2003

Les frères Berque, les navigateurs-découvreurs du XXIe siècle.

Aventuriers de l’extrême, artistes, surfeurs, photographes, musiciens, shapers de planches de surf, géniaux concepteurs de micro-bateaux, écrivains…

Pour quelques amoureux de la mer, les jumeaux Berque évoquent des prouesses de navigation, des sommets de détermination, des chemins de croix océaniques à nulle autre pareille.

Leur notoriété est toutefois confidentielle : seule une poignée de privilégiés se délectent de leurs aventures d’extra-terrestres.


Ils n’ont pourtant cessé de créer, concevoir, éditer, filmer : leurs photos, articles, films, livres et leur présence continue sur internet, témoignent généreusement de tout ce qu’ils ont accompli depuis près de 50 ans.

C’est un destin-double d’intrépides rêveurs, d’ermites rebelles, de matheux sensibles en marge du monde civilisé.

Ces pionniers inclassables et sauvages, ont eu les pires difficultés à faire connaître leur travail et leur parcours tant il est singulier.

Leur histoire, loin d’être cantonnée à celle de la haute mer, est celle de géniaux et irréductibles français anticonformistes.

L’ambition de ce film est de vous faire découvrir leur univers.


Une épopée inconnue des temps modernes.

Un conte en dehors de l’espace et du temps, qui se doit d’être partagé avec tout le monde, y compris avec les simples terriens…

Sans aucun instrument, pas même une boussole, un sextant, une carte. Sans canot de sauvetage, sans assistance, sans radio. Sans montre.

Une vie à deux. Trois traversées de l’Atlantique, aussi singulières que belles, aussi dangereuses qu’hors du temps, à rebours des tendances de la navigation moderne, pour ne pas dire du raisonnable. 

Quatre expéditions, de la plus improvisée et rock’n’roll, à la plus maîtrisée et avant-gardiste.

Cinq bateaux. Entièrement rêvés, pensés, dessinés, construits de leurs mains. Le premier sculpté comme une planche de surf, tracé à la volée.

Le suivant conçu sur une antique calculatrice scolaire, grâce à des programmes mathématiques personnels.

Le troisième, aux plans sortis d’un ordinateur, mais dépourvu de toute technologie moderne.

Partir, sans aucun instrument, pas même une boussole, un sextant, une carte. Sans canot de sauvetage, sans assistance, sans radio, sans balise de détresse. Sans montre.

Ces personnalités hors-normes, ces «gueules» aux têtes bien faites ont connu brièvement les honneurs des JT de TF1 et quelques autres, des passages sur Thalassa, des lignes dans le Guinness book pour leurs aptitudes marines hors du commun.

Emmanuel et Maximilien Berque, aussi brillants et solaires soient-ils, sont cependant restés dans l’ombre, pour ne pas dire dans l’obscurité.

C’est dans les Landes, loin des grands ports de Bretagne, de la Loire-Atlantique ou des côtes Méditerranéennes que l’on retrouve leurs traces.

Sciences + blouses blanches = surf

Portrait des jumeaux le jour de leur naissance, le 10 janvier 1950. Dessin de leur mère Lucie Lissac.

Derniers nés de la fratrie Berque, leur enfance suit l’itinéraire familial, du Maroc au Liban en passant par l’Egypte. Elle est marquée par des difficultés et de la phobie scolaire ; cancres mais futés, ils ont des problèmes d’adaptation à la vie métropolitaine quand ils arrivent à Paris. 

Ils haïssent leur nouvel environnement, ne rêvant que d’une chose : de leurs prochaines vacances chez leur grand-mère, à Contis dans les Landes où ils retrouvent les immenses espaces de leur petite enfance : le sable et l’océan, leurs terrains de jeu favoris.

Avec leur père Jacques Berque, Liban, 1955

Après des débuts compliqués, leurs études prennent une autre tournure à l’adolescence. Les jumeaux sont séparés, envoyés en internat et prennent le pli d’une discipline rigoureuse, orchestrée sous les auspices de leur père.

Ce dernier, Jacques Berque, est un grand orientaliste, spécialiste de la langue arabe, sociologue, professeur au Collège de France.

Ils deviennent des premiers de la classe, et sont tiraillés dans leurs études entre les sciences et les maths, les arts et les sports.

Saint-Julien en Born, 1963

Ils dessinent, jouent de la musique, cuisinent avec leur mère. Elle les initie à la photo au début de leur adolescence, ils sont inspirés et admiratifs de son remarquable travail d’artiste.

Leur éducation de qualité porte ses fruits. Avec des facilités dans leur cursus en particulier dans les sciences, ils ont l’embarras du choix aux portes de la vie estudiantine.

Emmanuel, tireur d’élite à l’issue de son service militaire

«Tout ce qui peut toucher à gagner de l’argent, ils n’en veulent pas» Jacques Berque

Maximilien

Maximilien, après Maths sup et des études cinématographiques à la prestigieuse ENS Louis-Lumière, travaille en tant que caméraman. Une opportunité en or se présente à lui, il devient plongeur de l’extrême à la Comex.

À la mythique société d’ingénierie sous-marine, il travaille sur les plateformes pétrolières offshore, gagne beaucoup d’argent et vit entre les sas de décompression, la mer du Nord, le golfe persique et bien sûr dans les Landes. Pour ses aptitudes dans les profondeurs océaniques, il est sélectionné pour le record du monde de plongée à -510 m pour l’opération Janus IV.

De son côté, Emmanuel étudie les mathématiques, la physique, la biologie et la géologie à la faculté des sciences d’Orsay puis à Bordeaux, où il devient œnologue. Il part travailler en Corse, où il dirige la vinification dans une coopérative viticole.

Pour les jumeaux au début des années 70, les sirènes au sens figuré – comme au sens propre… sont nombreuses.

Beaux gosses, touche-à-tout, musiciens, cultivés et cools, la réussite sociale et professionnelle est là. Mais, ils n’en ont rien à faire.

Les jumeaux n’ont qu’un seul but, garder un futur libre et jouir de la vie.

Emmanuel, œnologue

Fonder un commerce ? Passer sa vie à travailler pour s’acheter un canapé ou une belle bagnole ? Quel intérêt ? Une caisse qui ne roule même pas sur le sable — contrairement à une bonne vieille 2CV cabossée aux pneus dégonflés… Plutôt qu’un chemin tout tracé, les jumeaux dévalent une pente radicale.

Ils plaquent tout pour surfer et attendre la vague parfaite…

Contis, 1976

Sea, sex, and surf 


Cette quasi monomanie surfistique a notamment pour origine l’année 1966 et le visionnage du film The Endless Summer dans une salle de cinéma des Champs-Elysées. Ce mode de vie à rebours de la grisaille parisienne et de leur bachot les fait immédiatement rêver.

Devenus salariés, leurs vacances quasi exclusivement consacrées au surf leur donne un sentiment de plénitude et de luxe qu’ils ne trouvent pas ailleurs, et certainement pas dans leur quotidien de travailleur.

Ils vont donc vivre comme des ermites, voire des beach bums, littéralement sur la plage, de petits boulots, travaux, de vente de quelques planches de surf qu’ils fabriquent pour passer tout le reste de leur temps à l’eau et surfer un maximum.

Aux Canaries, surf trip

S’en suivent des aventures, des road-trips, rencontres, plaisirs tous azimuts, et quelques galères — dont une rocambolesque racontée dans leur livre, le pillage d’une épave. Péripétie qui les amènera en garde à vue et leur causera bien des soucis. Beaucoup de photos et l’écriture d’articles : ils peuvent revendiquer le titre de premiers photographes-journalistes du surf en France.

Max, avec un téléobjectif 1100 mm russe. Saint-Girons 1974

Ils deviennent des figures emblématiques – et discutées – dans leur région, et jouissent durant dix ans du paradis naturel que représente cette côte landaise.

Cette liberté à tout prix va les marginaliser, et peu à peu les plonger dans une précarité de plus en plus extrême. 

Leur village de Contis est très isolé, adossé à une dune, sur une mince bande de sable entre l’immense forêt des Landes et l’océan.

A force de trop attendre la vague parfaite, donc de travailler au minimum, ils sont devenus très pauvres, et vivent très chichement, il leur devient impossible de faire correctement de la photographie. S’acheter de bons outils pour travailler ou créer, et même le simple fait d’inviter leurs amis à manger est hors de leur portée !

Pour se sortir de ce cul-de-sac, ils décident de regrimper l’échelle sociale, mais «par le haut et non par le bas».

Ils décident alors :

«On va faire un film d’aventure unique ! On va traverser l’océan comme jamais personne ne l’a fait dans l’Histoire, et le filmer en mode Happening… ça donnera un film LIVE comme jamais personne n’a fait ! Ça va nous sortir de la misère !
On pourra enfin refaire du film et de la photo, écrire des articles et faire un livre et fabriquer des trucs !»

Dans les années 70, pour se démarquer dans la lignée des grandes épopées marines, il faut savoir innover.
Il faut être capable d’impressionner son monde après par exemple, le voyage du James Caird d’Ernest Shackleton vers l’Île de l’Elephant, la traversée de l’Atlantique d’Hannes Lindemann, celle d’Alain Bombard, voire le voyage d’Oskar Speck en kayak de l’Allemagne à l’Australie.
Imaginer entrer dans ce cercle très fermé est déjà en soi une gageure.

«On va traverser l’océan sur un canoë et sans rien ! Et on le filmera intégralement en happening…»

Les années d’études et les séparations n’y ont rien fait, ils vivent comme une hydre à deux têtes, leurs pensées font écho et s’amplifient, ils vivent en symbiose. Leur audace, alimentée par leur rivalité leur donne un goût irrépressible de l’impossible. 

Un pacte gémellaire se dessine, un rêve d’enfants devenus adultes. Celui d’une traversée de l’Atlantique en bateau, au plus près des découvreurs et des héros marins qu’ils ont toujours admirés, eux qui n’ont pourtant jamais navigué.

Freaks à Contis, 1981

C’est peut-être de leur mère qu’ils tiennent cette recherche de la beauté, de l’expérimentation. Ou bien est-ce un contrepied à la carrière classique de leur père ? Quelle que soit l’explication, c’est un véritable sacerdoce de la mer qui les appelle, leur premier chef d’œuvre artistique doit naître de tout ce flower power.

Hobie 18, 1980

L’Atlantique ne doit plus simplement être leur terrain de jeu, mais leur objectif. Ils s’initient à la navigation en Méditerranée sur le bateau d’un ami, voyage qui les mène jusqu’en Arabie Saoudite.  

Après avoir testé pour le compte d’un magazine le Hobie 18, un de ces petits catamarans de plaisance qui fait fureur depuis le début des années 1970, ils demandent un contrat de sponsoring pour une traversée à deux à Hobart Alter. 

Le fondateur d’Hobie Cat, sans doute éberlué par l’audace des jumeaux, pour ne pas dire par le caractère insensé de leur projet, ignorera leur proposition. 

Les jumeaux arrivent peut-être trop tôt, trop inexpérimentés.

Huit ans plus tard, en 1986, Laurent Bourgnon et Fred Giraldi feront bien cette traversée sur cet engin, ils seront alors accueillis en héros à Pointe-à-Pitre par le vainqueur de la Route du Rhum Philippe Poupon…

Avec l’ami Batron sur le Hobie 18


Après ce refus d’Hobart Alter, c’est clair, les jumeaux vont devoir s’en remettre à eux-mêmes. 
Ils débutent dans leur maison la construction d’une première embarcation un peu de la même veine que ces minis catamarans à soute pleine. Ils la baptisent Micromégas en hommage au livre de Voltaire.

Un infiniment petit navire à la conquête de l’infiniment grand océan.

Micromégas I, l’impossible voyage

Ils partent en direction du Sud, cabotent au nord de l’Espagne durant tout un été, accompagnés par leur chien, en guise d’essai.

Pour leur première vraie expérience de haute mer, ils cherchent le printemps suivant à traverser la baie de Biscaye pour rejoindre le Nord-Ouest de l’Espagne. 

Echec, ils doivent rebrousser chemin après avoir cassé leur barre. Ils font une boucle de 400 miles marins dans le Golfe de Gascogne. Après cette expérience dantesque à ramer pendant 4 jours, où ils frôlent la mort, ils se sentent prêts. L’été suivant, ce sera le grand départ.

«Don José : — De donde vienen ustedes ?

Emmanuel et Maximilien : — De France, on a mis trois jours en partant d’Arcachon !

Don José :— Sur ce bateau ? Mais il n’y a pas de cabine !”

Carolyn est une berlinoise amie des jumeaux. Sans aucune expérience de la mer, elle a décidé de les suivre sur le minuscule engin.

Celle surnommée «Paresseuse», qui se prélassait des heures durant sur les plages landaises devient rapidement «Amiral Rouscaille», et étonne les jumeaux par son mimétisme et sa facilité d’adaptation au rythme de la mer : à l’allure où elle va, ils seront bientôt des triplés, tant elle copie toutes les attitudes des Grumms à la perfection.

Ils atteignent bientôt Cedeira en Espagne, à une quarantaine de kilomètres de La Corogne.

Ils se retrouvent coincés, et ne peuvent aller plus loin en raison de la météo, mais ils sont assistés par Don José, propriétaire d’une plage et d’une bâtisse où ils abritent leur bateau. L’équipage est trop juste pour dépasser la Galice et rejoindre la côte lusitanienne, mais a engrangé de l’expérience.

Cedeira, Galice
Berlin

Après un hiver à Berlin, où Carolyn les emmène pour renflouer les caisses, ils passent enfin le Cap Finisterre au printemps suivant.
Sur leur route, ils repèrent soigneusement les spots de surf, en naviguant au plus près des lignes de crêtes, et en prenant donc des gros risques dans ces côtes rocheuses, au grand dam de Carolyn.

Ce premier vrai périple se fait sur plusieurs saisons, en quatre tentatives faites d’allers et retours entre les récifs et la civilisation.

4 tentatives, en quatre ans, entre le soleil estival de carte postale et le rude hiver allemand, ce parcours est à lui seul un roman où les jumeaux alternent entre avancées de leur bateau, joies extatiques et improbables vicissitudes. Il dignifie le travail manuel sous toutes ses formes, avec des monologues intérieurs à la Georges Navel sur la condition d’ouvrier.

L’histoire raconte le parcours des jumeaux en France, en Allemagne, au Maroc, en Espagne, l’incroyable persévérance qu’ils ont déployée pour obtenir de quoi financer leur expédition, et arriver à leurs fins. Elle débute dans les bureaux de Paris Match et de l’agence Gamma, qui leur avance 30 000 francs pour un reportage photo.

A Berlin ils prennent l’uniforme de monsieur Propre : balayeurs, et hommes de chantiers pour subvenir à leurs besoins, ils détonnent mais travaillent de manière ordonnée et méthodique dans d’immenses salons d’exposants, tout en bas de l’échelle.

M1, Punta Mujeres

Au Maroc, dans la tourbillonnante Casablanca, ils sont accueillis à trois comme des princes par toute une famille après une heureuse rencontre au port.
Plus tard, ils rencontrent sur la côte à Souira Kedima le jeune Hassan, humble pêcheur qui les prend sous son aile.

Le récit montre la clarté de conscience des jumeaux pris dans l’étau de leur ambition, en proie aux désillusions et à un quotidien assommant, mais qui continuent à voir très loin devant eux et gardent le cap.

Fuerteventura, La Playita
Carolyn et les jumeaux ont parcouru 2000 km sur 8 m² de toile à 25 cm de l’eau – Los Cristianos, Tenerife

Le Maroc, et le soleil des Canaries éclipsent les froides images hivernales de la vie d’ouvrier d’Europe du Nord.

Malheureusement, aux portes de l’Atlantique, c’est la mort dans l’âme qu’ils abandonnent leur projet de traversée. 

Épuisés, découragés par l’immense difficulté, l’absence de budget, leur caméra cassée, ils apprennent que le Hobie 18 de Laurent Bourgnon avait réussi sa traversée. C’en est trop…

Ils abandonnent Micromégas dans les îles.

Les jumeaux vont devoir réinventer leur rêve de traversée.

Initiation : le premier film des Berque

Micromégas II, le rêve réinventé

Maximilien survit à une crise cardiaque à 37 ans, après une journée de surf très intense.

Cet accident de santé dramatique qui a failli lui coûter la vie aurait dû en théorie proscrire à jamais toute tentative de traversée océanique et sonner le glas de ce projet impossible. 

Emmanuel est quant lui papa d’une petite fille, depuis 1991, Marine.

Cette épreuve et cette nouvelle responsabilité auraient pu inciter les jumeaux à se (re)mettre sur les rails d’une carrière dans l’audiovisuel, autour du shaping de planches de surf, du tourisme, ou de telle ou telle autre entreprise en vogue en plein boom économique du surf business.

Mais les jumeaux ne veulent pas renoncer au rêve de leur vie.

Leur destin, ils le savent, est tout autre.

Un des prototypes conçu par les jumeaux

Leur attitude désintéressée, leur sincérité et leur dévouement à leur idéal leur apporte l’adoubement de leur exigeant paternel. Dans un rapport à l’antique, «d’autorité librement consentie», leur père va soutenir ce projet et les protéger a minima.

Sur Thalassa, un premier reportage sur les jumeaux avant leur traversée, avec leur père à Saint-Julien-en-Born

Micromégas II

Micromégas II, leur nouveau bateau, va prendre près de trois ans de leur vie.

Trois ans à penser, concevoir, dessiner, scier, coller, plier, poncer, clouer, sécher, raboter, ajuster planche par planche un bijou extraordinaire.

Bien aidés par le nouveau RMI, ils vont consciencieusement économiser pour petit à petit assembler les pièces de leur puzzle. 

En partant des données écrites à la main des cahiers d’Emmanuel, ils transcrivent en code informatique de quoi calculer les plans de leur bateau.
À l’aide d’une Casio FA-10, sorte de grosse calculatrice programmable, un ancêtre de PC datant de 1983 — soit déjà une antiquité pour l’époque — ils impriment eux-mêmes avec cette minuscule machine tout le nécessaire pour sa construction. 

Pas question de faire les choses à moitié, ni de laisser la place au hasard, leur bagage technique et scientifique, leurs expériences doivent compter dans la création de leur vaisseau.

Enduit à la fibre de verre sur dix couches, vernis à la main, c’est un travail harassant, ingrat, qui plastifie les mains. Lors de la construction, l’étrave —  partie avant du bateau —  se brise sous l’effet des contraintes phénoménales du bois collé, courbé et plié. Les jumeaux réparent, et arrivent au bout de leur peine.

Départ de Capbreton, 1994

Une expédition sur la lune avec un budget de RMIste : la NASA au RSA 

Carénage à Cedeira, Galice

Le voyage jusqu’aux Canaries dure quatre mois.

A nouveau, ils ont les pires difficultés à sortir de la mer froide pour rejoindre le port de leur grand départ. 

Micro et Méga, Viana do Castello, Portugal 1994

Mais cette fois, ils ne lâchent pas. 
Malgré un premier échec cuisant en haute mer, après une monstrueuse tempête essuyée lors d’une tentative pour rejoindre Madère, ils se remettent en route pour se lancer d’Arrecife.

L’émission Thalassa leur a prêté une caméra, et filmé leurs préparatifs. Exception faite de Quiksilver qui les équipent en vêtements, c’est sans sponsor, mécène, ni partenariat qu’ils se jettent à l’eau le 26 avril 1995.

La solitude pélagique.
Un sextant à 300 francs et une boussole. 
Sans balise GPS, sans assistance, pas de récompense au bout autre que celle de l’accomplissement : à bord de ce bateau de 400 kg et 4 mètres de long, ils vont parcourir 11 000 km.
37 jours épiques dans l’espace océanique, filmés et commentés avec persistance, incrédulité, joie et peine.

Le documentaire de leur traversée, produit par CAPA et diffusé sur Canal+

À l’arrivée, TF1 prendra quelques images de leur parcours dans les Caraïbes, où ils reprendront des forces.

La prouesse est derrière eux, les émotions, les images gravées dans la mémoire et sur film, les jumeaux sont devenus les égaux des plus grands capitaines de l’histoire.

Mais sans un sou en poche, ils doivent redevenir simples matelots et passer la serpillère sur des yachts pour avoir le droit de se payer un retour en avion et revenir en France.

Îles Exumas, 1996

Ils abandonnent leur chef d’œuvre sur une rade près de Miami. 

Volé, détruit, caché, coulé, sauvegardé, conservé quelque part ? Le destin de ce magnifique bateau est aujourd’hui un mystère. 
Sur leur site figure toujours cet avis de recherche, plus de vingt-cinq ans plus tard :

«Nous faisons appel à vous si vous connaissez quelqu’un près de Fort Lauderdale en Floride susceptible de fournir des informations ou de mener une enquête pour retrouver la trace de Micromégas II et envisager son éventuel rapatriement…»

Micromégas III


Fiers, estimés par tous leurs proches, les jumeaux ont réussi leur pari, et cela les convainc que leur place n’est définitivement pas sur la terre ferme. 

Le retentissement médiatique laisse à désirer, et ils sont insatisfaits du film monté pour la télévision de leur traversée.

Ils récidivent sept ans plus tard, après avoir réussi à obtenir une avance de frais pour l’écriture d’un livre. Et cette fois, ils feront un film d’auteur.

Micromégas III est une coquille de noix encore plus petite : c’est une micro-pirogue à balancier de 300 kg inspirée des polynésiens qui va leur servir de transatlantique. C’est la quintessence du concept, de l’ingénierie des jumeaux, un jouet de haute technologie antique. Micromégas II, à côté, fait figure de paquebot avec sa cabine deux places.

M3 au mouillage

“Le prao c’est un clin d’œil aux maoris. Le gréement au tiers, c’est un clin d’œil aux bretons. Tout petit, c’est pour faire mieux que les bretons et les maoris.”

Ils vont passer près de 4 semaines allongés parfois l’un sur l’autre dans un espace semi mouillé, à peine plus large qu’un bobsleigh. Ou assis à quelques centimètres de l’eau sur un filet, comme sur Micromégas I. 

Une deuxième traversée sans boussole, ni sextant, carte, montre, radio, téléphone ou assistance…

Ils ne le savent pas encore, mais ils passeront à deux doigts de la folie sur cette arête de maquereau en bois. Seule concession à la modernité, une balise Argos. Au cas où…

Le Kon-Tiki à côté, c’est un navire Costa Croisières !

«Huis Clos sous les Etoiles», le film épique de leur seconde traversée de l’Atlantique

Quel document relate d’aussi près un tel exploit sportif, humain, technique ? 
Qui d’autre que des jumeaux ne se seraient pas étripés dans les moments les plus compliqués, perdus au milieu de l’océan, sans contact avec le monde extérieur, assoiffés, apeurés, exténués, à bout de nerfs ?

Donnant à tous le loisir de monter à bord de cette embarcation des confins de l’univers humain, «Huis-clos sous les étoiles» sont 59 minutes parmi les plus marquantes, les plus émouvantes jamais filmées.

C’est le plus impossible des reportages, un conte épique et minimaliste, l’Everest, ou plutôt le K2 marin si l’on tient compte de la difficulté et des risques.

Respectant scrupuleusement la séquence chronologique des rushs, c’est un journal de bord sans montage, totalement brut, sans commentaire, sans musique, à couper le souffle. 

Sans script, mais pensé et rêvé, en gestation dans l’imaginaire des jumeaux pendant près de vingt ans, il est d’une puissance et d’une authenticité inégalable aussi bien dans les mots ahanés, géniaux, drôles, émouvants, intenses, que dans les images, irréelles, irrationnelles. La folie mêlée à la sensation d’accomplir son destin, en doutant de tout, et de rien.
Pour les jumeaux, il s’agit d’«accepter de se perdre, pour se mieux trouver», du moins, c’est ce qu’en a pensé la philosophe et écrivaine Sonia Branglidor dans son poème-hommage aux frères Berque.

Réflexions au milieu de l’Atlantique

Mike Horn ou Bear Grills valideraient : avec seulement 49 litres d’eau consommés, 65 boites de sardines, 4kg de lait en poudre, 2kg de sucre, du tabasco et 8kg de gofio, la farine grillée des pêcheurs canariens, c’est une traversée record.

Sardines, gofio, tabasco.

Les jumeaux sont inquiets, incertains de leur position, ne voyant pas des nuits entières les étoiles permettant de se situer sous la voute céleste. Ils avancent à toute vitesse, ou stagnent sans savoir où ils sont, ballottés par les immenses vagues et les clapots.

Finalement, c’est au bout de l’effort, des limites de la raison et du physique qu’ils réussissent leur traversée, en atteignant avec une précision parfaite leur destination de La Désirade. Un rêve.

Un voyage qui leur coûtera la peau des fesses, au sens propre, rongés par la langue rapeuse du sel et des frottements sur le cordage durant 27 jours.

Comment les jumeaux se protègent des vers anisakis ? En consommant une demie-bouteille de sauce Tabasco par repas !

Là aussi, malgré l’incroyable performance ils n’auront guère capitalisé, et resteront dans un anonymat relatif les années suivantes, seulement bousculé par quelques percées, interviews, prix, récompenses et présentations de leur film, ahurissant témoignage de cette prouesse.

La cinquantaine désormais passée, sans les retombées qu’ils espéraient… que faire ?

Suivre la route des étoiles, coûte que coûte

Micromégas IV est construit en 2006, c’est un splendide Doris en bois, bateau à fond plat de 7m10. Mais il ne traversera pas l’Atlantique.

Micromégas IV serait rapidement devenu trop dangereux en vent arrière, nous risquions d’embarquer beaucoup trop d’eau par le travers avec une mer vicieuse.

Notre recherche esthétique a été trop loin, nous avons trop cherché à imiter des doris anciens, surtout dessinés pour marcher à la rame et non à la voile !

11 août 2008, sur le blog des jumeaux

Ce bateau ne naviguera que peu et est soigneusement abrité, il est d’ailleurs en vente, ainsi que ses plans.

Micromégas IV à Contis

Exister, c’est insister ? De toute manière, jamais deux sans trois…

Leur aventure suivante sera synonyme de vitesse, ils construisent donc en conséquence un multicoque miniature moderne. Un catamaran sans tirant d’eau, sans quille ni dérive.

Assemblage de Micromégas V

Micromégas V, en fibre de verre, est plus lourd et plus grand que Micromégas III. 

Plus bruyant aussi, les résonnements de l’eau et des clapots se font plus intense. Ceci rend plus précaire encore le peu de sommeil qu’ils peuvent trouver, ce qui à 60 ans se fait plus fortement ressentir.

Le M5 est un très brave et beau petit bateau très rapide qui a rempli son contrat et fait une très belle performance.

Mais nous n’avions pas prévu que sa vitesse créerait à l’intérieur des coques un bruit et des mouvements insupportables, épouvantables et terrifiants.”

Plutôt à l’aise avec les outils informatiques — modernes cette fois – ils sont cette fois suivis sur Facebook par la communauté naissante des abonnés à leurs pages.
Ils mettent à jour leur traversée sur leur blog, et sont en permanence en contact avec le monde entier via SMS et téléphone satellite.

Janvier 2011

Partis à nouveau des Canaries, ils arrivent à la Barbade le 1er février 2011, soit une nouvelle traversée en 27 jours.

A une époque où les réseaux sociaux émergent, avant la grande adoption des smartphones, les jumeaux sont en quelque sorte trop en avance sur leur temps, et la portée de leurs publications restera confidentielle au regard de l’exploit à nouveau accompli.

Les retombées médiatiques ? Des entrefilets, quelques interviews : sans attaché de presse ou sponsor, c’est encore une fois mission impossible de faire connaître et reconnaître leur invraisemblable histoire.

Les jumeaux ressentent également bien différemment cette traversée, ayant l’impression d’avoir navigué en «faisant l’autruche», sans réellement voir, sentir l’océan en raison de l’assistance des instruments. 


Devenir immortel, et puis, mourir


Maximilien nous a quittés le 10 août 2021.

Son cœur l’a rattrapé, après sa première «mort» à 37 ans, il a cette fois définitivement refermé l’écoutille. 

«Grompf » désormais bien seul, tient la barre et fait son maximum pour raconter leurs histoires de jumeaux : Emmanuel se surnomme alors lui-même «ju-man», le singulier de jumeaux. Il fait le tour des festivals qui l’invitent, et un certain frémissement autour de leur légende semble poindre. 

«MAX EST MORT» : Au Musée Picasso, œuvre de Sophie Calle

Tels les grands explorateurs, ils ont étendu les frontières du possible, de périples en périples, ils font rêver une nouvelle génération de marins. Ils exsudent une infinie plénitude d’aliens sortant de leur voyage spatio-temporel. 

Ils ont eux-mêmes tenu le journal photo et filmé leurs odyssées en professionnels de l’image qu’ils sont. 

Ils ont eux-mêmes inscrit dans l’éternité, avec un talent hors-norme leurs moments de félicité, des instants rarissimes qui sont d’habitude à la frontière de l’inexprimable. Ils sont ici palpables, et accessibles à tous en vidéo. Ils ont capturé leur humour et leurs humeurs, et rendu hommage et la beauté de l’océan à qui ils ont offert leur vie.

Ils ont eux-mêmes raconté leur histoire dans un livre qui ressort aujourd’hui, dans une nouvelle version : les «Mutins de Micromégas», sous la plume d’Emmanuel.

Sans les sponsors, la renommée, l’intérêt médiatique, en restant fidèles à leurs principes ils ont trois fois réussi leur odyssée de surfeurs et de loups de mer.

« Ton rêve doit être si grand qu’il ne doit pas laisser de place à ton égo » Quincy Jones

Dans leurs films, les frères Berque marquent l’esprit comme peu d’histoires humaines arrivent à le faire. Baignés dans les sublimes lumières des Caraïbes, ou dans le noir complet des interminables tempêtes, perdus, sans aucun repère, les jumeaux se révèlent à la face du monde.

Leur destin, leur humilité et le dénuement extrême de leurs expéditions contraste avec la modernité et l’opulence gargantuesque du monde des régates contemporaines.

Parmi les aventuriers modernes, lequel s’est à la fois volontairement — ou non — habitué à avoir faim sur terre, doutant de tout y compris de sa propre santé mentale, pour la beauté et l’unicité d’un exploit ? Qui s’est donné les mêmes objectifs fous durant vingt ans, en continuant à y croire, même en travaillant à des milliers de kilomètres de l’océan, en subissant des échecs cuisants, ignorés, pour ne pas dire moqués ?
Qui, au bout d’incommensurables exploits a réussi pour au final ne trouver que pour seuls compagnons la solitude, la peur de la mort et de l’oubli ?

«Je n’affirme rien ; je me contente de croire qu’il y a plus de choses possibles qu’on ne pense» Micromégas, Voltaire

Ils ont cherché l’inatteignable au bout de leur jardin. Ils ont volontairement choisi la voie de la difficulté la plus terrible, l’inextinguible soif au plein milieu de l’Atlantique, le minimalisme le plus extrême pour la grandeur de leur geste. Leur jusqu’au-boutisme les a hissés à bord d’une classe rare et dangereuse, celle des découvreurs. Réduire le bateau, réduire les moyens, réduire les certitudes, pour agrandir l’espace et l’inconnu. Et rendre leur traversée titanesque, Micromégas.

La liberté sans concession, insaisissable, qui fait mal et qui transforme, celle qui mène à l’extase et à l’infinie clarté de conscience.
La liberté qui rend la vie absolument magique quand les nuages se dissipent : c’est de cela dont ont toujours voulu les jumeaux ; c’est cela qui transparaît de leur extraordinaire parcours de vie.

Akira Aubert

Chrolonogie

1950 Naissance à Imintanout, Maroc
1963 Pensionnat à Saint Martin de France, Val d’Oise
1970–75 Etudes scientifiques, Max plongeur à la Comex, Emmanuel œnologue
1979 Premier voyage en bateau jusqu’à Jeddah, Arabie Saoudite
1980 Essai du Hobie cat 18
1982–1986 Micromégas 1 – Balayeurs à Berlin — parcours au Maroc et aux Canaries
1993 Micromégas II
1996 Première traversée de l’Atlantique en 37 jours 
2003 Micromégas III, seconde traversée en 27 jours
2004 Sortie du film Huis Clos sous les étoiles
2006
Micromégas IV
2011 Micromégas V, troisième traversée en 27 jours 
2021 Décès de Maximilien
2022 Parution des Mutins de Micromégas

À commander directement à Emmanuel sur sa page Facebook, ou en vente sur internet.
Poème en hommage aux jumeaux de Sonia Branglidor, Avril 2010